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Homme Culture & Identité

L' identité masculine mise en questions / Le genre et l'égalité entre les sexes / Blog animé par Alexis Aguettant

Le recul de la mort. L’avènement de l’individu contemporain de Paul Yonnet

Compte rendu de lecture de Dominique Youf

 

1 Sous le titre a priori énigmatique, Le recul de la mort, Paul Yonnet poursuit son enquête sur l’individualisme contemporain. Sociologue inclassable qui a contribué à la tonalité intellectuelle de la revue Le Débat, dirigée par Marcel Gauchet, Paul Yonnet était considéré comme un spécialiste de la sociologie du sport et du loisir (Jeux, modes, masses, Gallimard, 1985 ; Systèmes des sports, Gallimard ; 1998, Huit leçons sur le sport, Gallimard, 2004). Pourtant, il s’était également intéressé à l’adolescence en écrivant des articles sur l’esthétique rock.

 

2 Le recul de la mort est une entreprise d’une autre ampleur. Ouvrage pluridisciplinaire qui fait appel à la science démographique, à l’histoire du droit de la famille, à la sociologie, ce livre présente les caractéristiques d’une œuvre baroque. Y coexistent la rigueur scientifique et l’audace interprétative qui rend ce livre fascinant. La thèse centrale en est que la baisse massive de la mortalité infantile et de la mortalité maternelle a permis l’avènement de l’enfant du désir qui est à l’origine, selon Paul Yonnet, de la civilisation moderne. Pour comprendre ce basculement qui va permettre la réalisation d’une société individualiste avec, notamment, une redéfinition des âges et la production de l’adolescence, il faut prendre la mesure de « l’explosion atomique » que fut le recul de la mort, c’est-à-dire la quasi disparition de la mortalité avant quarante ans. Au xviiie siècle, la moitié des enfants meurent avant l’âge de dix ans alors que la mortalité maternelle est de 11,5 °/00. Entre le milieu du xviiie siècle et la fin du xxe siècle, la mortalité maternelle a été divisée par 96 et la mortalité infantile par 59. En deux siècles et demi avec une accélération très vive dans la deuxième moitié du xxe siècle, on assiste à une éradication de la mortalité infantile et de la mortalité maternelle, concentrant la mort dans le grand âge.

 

3 Ce recul de la mort va bouleverser la psychologie des individus. La réalité de la mort est évacuée de la condition humaine pendant la majeure partie de l’existence. Surtout, l’effondrement de la mortalité permet l’avènement de l’enfant du désir, c’est-à-dire l’enfant du désir d’enfant. Grâce à la contraception et à la dépénalisation de l’avortement, l’enfant n’est plus un fait naturel qui s’impose, il fait l’objet d’un choix, d’un désir. Il en résulte, selon Paul Yonnet, une nouvelle psychologie de l’enfance. L’enfant n’est plus le maillon d’une chaîne où les survivants permettaient la reproduction, il devient un être unique, un sujet issu du désir, fier d’être soi et personne d’autre. L’enfant n’a été conçu à d’autres fins que d’être lui-même. L’autonomie que les parents laissent à l’enfant constitue la preuve qu’il a vraiment été désiré.

 

4 Pour Paul Yonnet, l’enfant du désir ne peut pas être interprété comme une émancipation. Il n’y a pas, selon lui, d’enfant du désir véritablement heureux. Chacun est en quête de la preuve d’être issu du désir d’enfant. Les enfants nés sous x ou abandonnés à la naissance ont, eux-mêmes, besoin d’avoir été désirés. En témoigne la recherche de leurs parents biologiques, où ce qui est attendu est : « J’ai choisi de te garder, mais les circonstances ne l’ont pas permis ». Cette dépendance au désir de l’autre rend l’individu très dépendant. Le paradoxe de la civilisation moderne est de produire à la fois un individu de plus en plus autonome et de plus en plus dépendant. L’adolescence en constitue une des manifestations.

 

5 Paul Yonnet rappelle que l’adolescence est une construction historique et sociale. Il n’y a pas de psychologie en soi de l’adolescence ; elle n’est en rien l’effet d’une production hormonale mais s’est développée dans le cadre de déterminations historiques et sociales. Tout le problème de l’adolescence est qu’on lui demande et lui permet de s’autonomiser de plus en plus tôt, tout en lui demandant de différer ses choix. L’autonomie laissée à l’adolescent est un des effets du désir d’enfant. C’est dans l’accès à l’autonomie que parents et enfant se confirment que ce dernier a bien été conçu pour lui-même. Cependant, l’adolescent ne peut pas véritablement mettre en œuvre son autonomie. L’auteur utilise pour caractériser cette situation le terme de « néoténie » qui désigne la persistance d’un trait propre de l’état larvaire longtemps après la constitution de l’être. Cette néoténie se manifeste dans la structure psychologique et sociale de l’adolescence, caractérisée par l’absence de gravité, le recul devant l’établissement, le goût de la fête et de l’expérience ludique considérée comme un droit de l’âge.

 

6 On le voit, la critique de Paul Yonnet à l’égard de l’enfant du désir et de l’adolescence est très sévère. On peut trouver la peinture de ces âges de la vie catastrophiste, relevant plus de l’interprétation que reposant sur des éléments de recherche solides, à la différence de ses analyses sur la révolution démographique. Il reste, en effet, que le recul de la mort est un des évènements majeurs des derniers siècles qui a bouleversé le rapport des êtres humains à l’existence et qui a surtout permis l’avènement de l’enfant du désir. Avènement dont on n’a pas fini de prendre la mesure.

 

7 Le recul de la mort. L’avènement de l’individu contemporain.
Paul Yonnet
Paris, Gallimard, 2006,  517 pages, 25 €.

Référence électronique

Dominique Youf , « Le recul de la mort. L’avènement de l’individu contemporain de Paul Yonnet », Sociétés et jeunesses en difficulté [En ligne], n°4 | automne 2007, mis en ligne le 18 avril 2008, Consulté le 17 août 2013. URL : http://sejed.revues.org/1393

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